Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/10/2017

Entre nous, confidences d'instit.

Aller, je vais raconter un événement de vie d'instit.

Il faut que je prenne le temps de vous faire un point sur chaque jour de mes 4 écoles mais ces temps-ci, je ne prends pas le temps d'écrire.

Dans mon école du vendredi, je fais un gros projet chorale avec une autre collègue qui prend les CP-CE1. Et moi, cette année, je prends tous les CE2,CM1,CM2 de l'école ensemble à savoir 64 élèves.( l'an passé, la collègue d'une des classes ne voulait pas et donc je ne prenais qu'un groupe de 40 élèves...seule..)

Le collègue de Cm1-CM2 m'accompagne durant la séance,à 65, impossible d'être seule. C'est un stagiaire, à mi-temps dans la classe et à mi-temps à l'ESPE ( il a eu son concours l'an passé), il est très sympa, motivé, innovant mais a un peu de mal à se situer pour m'aider dans la discipline durant la chorale. C'est normal, je ne lui en veux pas et j'en ai discuté avec lui.

Ce vendredi, je lui ai dit que la semaine prochaine, je ne prendrai pas les CM1-CM2 en chorale, j'avais besoin d'une pause de gestion de grand groupe et donc au début de la séance, ce vendredi, une fois les 64 élèves installés sur leur ligne de chorale, une fois le calme obtenu, j'informe que la semaine prochain, les élèves de Cm1-Cm2 ne feront pas chorale.

Et là, de façon très appuyée et forte, plusieurs élèves font "YES" en parole accompagné de gestes de satisfactions.

Sur le coup, je suis très surprise de cette réaction car c'est une école avec des élèves sympas et respectueux, qui font chorale depuis la maternelle, avec qui j'ai déjà plusieurs fois discuté du fait que nous avons le droit de ne pas aimer la chorale ( comme d'autres n'aiment pas le sport, les maths ou l'histoire !) mais que c'est un travail, que c'est en lien avec un projet et que donc on essaie de donner le meilleur de soi pour progresser.

J'enchaine en disant " et bien sympa la réaction...", je demande à tous les élèves qui ont fait ce YES d'avoir l'honnêteté de le réaffirmer et de s'asseoir et de reculer d'un pas. 8 élèves ont eu le courage de le faire, je pense qu'ils étaient plus nombreux.

Et là, je sens qu'en moi,je suis bien plus touchée et, sans que je ne le maitrise du tout, alors que je tente de démarrer l'échauffement vocal, ma bouche est sèche, sans voix, mes yeux me piquent, et je suis envahie par une émotion incontrôlable qui fait que les larmes coulent seules sur mon visage. Les élèves sont complètement abasourdis et ne disent plus un mot, plusieurs osent un " ça va maitresse?", le stagiaire ne prononce aucune parole et je demande à un élève d'aller chercher la directrice.

Celle-ci arrive, me demande ce qui se passe, je sors de la pièce pour pleurer à chaudes larmes pendant que la directrice se fait narrer l'histoire !

Je tente de me ressaisir, je ne m'explique pas du tout cette réaction de ma part, aucune réminiscence ne m'est venue à l'esprit mais par contre, quand je fais chorale, je le fais avec mon âme, mon coeur et mes tripes, cela me fatigue beaucoup physiquement alors je pense avoir été percutée par la réaction vraiment  peu adéquate de certains élèves.

La directrice fait un remontage de bretelles digne de ce nom et explique aux élèves qu'elle va réfléchir.

Je me remets à ma séance de chorale, certains élèves très affectés de me voir touchée, je leur explique que les adultes ont parfois, comme eux, des jours plus sensibles que d'autres, que je me donne du mal pour la chorale, que je pense qu'on a un projet sympa ( le thème des périodes et personnages historiques), que je ne les martyrise pas en chorale et qu'au contraire j'essaie que chacun au final soit fier et ait plaisir à chanter.

A mon retour de séance, ma directrice avait pondu une lettre destinée aux parents des élèves concernés qu'elle a lue à toute la classe, me disant qu'on décidera si on l'envoie ou pas.

Je ne peux m'empêcher d'écrire des extraits de cette lettre témoignant du soutien sans faille de mes collègues du vendredi.

"Je tenais à vous faire part de l'attitude désobligeante de votre enfants en chorale. ( elle explique les faits exactement comme ils se sont passés)...Par son cri, il a manifesté son peu de considération et de respect pour l'enseignement de cet art et de l'enseignante qui le prodigue. ( là elle met les extraits des programmes officiels sur l'éducation musicale, d'ailleurs très très bien....je l'écrirai plus tard) et elle termine par "Chaque élève doit pouvoir s'engager chaque année dans la réalisation d'un projet chorale ambitieux, associant autant que possible d'autres formes d'expression artistique. Cette possibilité lui permet, outre de trouver plaisir à chanter dans un cadre collectif, de découvrir les exigences d'un spectacle organisé en fin d'année scolaire.Quelque soit le sentiment que l'enseignement de la musique lui inspire, il n'est pas tolérable que son attitude soit irrespectueuse. Par conséquent, votre enfant doit présenter par écrit ses excuses à madame C. et changer radicalement de comportement lors de la chorale"

 

Ouah....là, les élèves ont vraiment mesuré la tournure des événements.

Bien évidemment, j'ai dit à la directrice de ne pas adresser ce courrier aux parents et que des excuses des élèves concernés suffiraient largement. Plusieurs sont venus me parler et s'excuser et je pense que vendredi prochain, certains l'auront fait par écrit.

D'autres qui n'avaient pas crié Yes, sont venus me demander si cela allait, me dire qu'ils adoraient la chorale, que c'était trop bien !!!!

Je fais ce long article de narration car vraiment cet instant de vie à l'école me marquera toute ma carrière, que ce soit le vécu avec les élèves, ma réaction émotive disproportionnée, le soutien et les réactions des collègues.

Nous répétions un chant dont un couplet correspondait bien à notre vécu du moment, je vous livre un couplet :

"Bien sûr, y' a des hauts et des bas, on avance quand même pas à pas,

On n'est pas tout le temps d'accord mais le respect passe d'abord,

Quand on ne s'aime qu'à moitié, reste l'autre moitié d'amitié,

Et après nos mauvaises humeurs, vient le temps de chanter en choeur."

Bon moi du coup, après avoir terminé ma journée, je suis allée voir le prof stagiaire pour m'excuser de lui avoir montré tout ce qu'il ne faut pas faire devant ses élèves !!! Pleurer !!!!

Et après j'ai ri avec les collègues leur disant que le WE allait colporter la rumeur qu'il y a une instit dépressive dans l'école....

Je ne suis pas certaine que ma narration vous fasse vraiment vivre mon ressenti du moment, peut-être que vous vous direz, oh ce n'était qu'une réaction de gamins....et vous savez que je ne suis pas du genre à sanctionner pour rien. Mais je veux vraiment que les élèves comprennent que le respect du travail de chacun est important et qu'on ne peut pas se permettre de se laisser aller à des réflexions pouvant être blessantes.

Je sais qu'ils sont aussi à l'école pour apprendre les relations avec les autres, élèves et adultes, et je suis certaine que chacun, chacune aura vraiment réfléchi après ce qui s'est passé ce vendredi en chorale.

Juste cela, ça me suffit.

Je leur ai redit qu'ils avaient le droit de ne pas aimer chanter.

Cela ne m'empêchera de tenter de leur faire aimer quand même !!!!