Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/09/2014

La femme au turban.

C'est une maman d'élève et elle a un turban sur la tête car elle a un cancer.

Elle l'appelle son foulard, je l'appelle son turban car la façon très spécifique et très jolie qu'elle a de le nouer me fait penser aux turbans des femmes africaines.

Il y a six mois maintenant, un matin, mon collègue m'annonce cette nouvelle, cette épreuve que va vivre cette maman d'élève que nous connaissons très bien, super sympathique, super investie dans la vie de l'école et que JE connais très bien puisque son fils a fait deux CP et son CE1 avec moi et que j'ai dû rencontrer la famille de nombreuses fois au sujet des difficultés scolaires de cet enfant et de son orientation qui a été décidée en fin de CE1. De plus, son mari a passé l'agrément pour accompagner à la piscine et du coup, là aussi, une complicité existe.

Et pourtant, il y a six mois, je me souviens très bien de ma réaction quasi inhumaine à l'égard de cette femme qui n'avait pas encore son turban. Je me persuadais que je devais me détacher de la situation, que cette femme n'était qu'une parent d'élève pour moi ( malgré le temps passé pour son fils et elle, le temps passé à nous aider pour l'école et donc les discussions, les rires ) Et puis surtout, un seul cancer préoccupait mon esprit, mon coeur, mon âme.

Je n'avais pas de place pour son cancer à elle ou plutôt je ne voulais pas lui accorder de place.

Je sais, c'est assez terrible comme réaction mais la vie fait qu'on n'a pas toujours les intentions bienveillantes qu'on aimerait tout le temps avoir. ( clin d'oeil à une super soirée de pièce de théâtre sur les choix et sentiments humains adoptés par les uns et les autres en temps de guerre....grrrr, le titre m'échappe totalement !)

C'était donc au mois de mars.

Plusieurs semaines se sont écoulées sans voir la femme au turban, je savais qu'elle avait été opérée et avait démarré une chimiothérapie.

Je l'ai véritablement revue au mois de juin avec son turban.

Mais là encore, turban ou non, mon empathie ne s'est pas totalement déclarée mais ma compassion oui. ( pas de la pitié je précise !!!)

Elle est venue au conseil d'école, nous avons discuté de tout sauf de la maladie.

Elle est venue à la kermesse et là, nous avions un peu plus discuté, je lui avais demandé des "nouvelles". Je me souviens que je l'avais trouvée très belle, maquillée, joliment habillée, souriante, j'avais esquissé un compliment sans savoir vraiment comment m'y prendre.

Cette année, la maman au turban est la maman d'une de mes élèves de CP. Donc la maman au turban, quand elle vient à la grille de l'école, c'est à moi qu'elle veut parler et moi, j'ai des choses à lui dire sur sa fille.

Mardi dernier, elle m'a accompagnée à la sortie musée et elle le fera les deux autres mardis à venir. J'étais contente qu'elle soit là car je l'apprécie vraiment et qu'en plus elle est super efficace en tant qu'accompagnatrice. Nous avons discuté en lien avec les élèves, nous avons ri et je me suis surprise à me demander si elle n'était pas fatiguée par le trajet en bus, la chaleur, le bruit mais bien sûr j'ai gardé ces questions pour moi. Je m'étais inquiétée auprès de son mari de savoir si venir les trois fois ne serait pas de trop, il m'a répondu, joyeux comme il l'est toujours, non au contraire, cela lui fait un bien fou. Alors super pensai-je !

Hier soir, c'était la réunion de rentrée, elle était là, magnifique dans ma classe à la place de sa fille. Turban assorti à ses boucles d'oreille et à sa jupe, souriante.

Elle est restée la dernière, ce n'était pas un hasard, elle a attendu que je finisse des discussions avec certains parents, on s'est regardé pour se dire qu'on allait papoter.

Et nous nous sommes retrouvées seules pendant trente minutes et là, j'ai vraiment pu lui demander comment elle allait, physiquement, moralement. Elle a pleuré, j'avais les yeux humides, nous avons discuté, rigolé, elle m'a confié où elle en était dans le traitement, ce qui reste à faire, quelques états d'âme et cela avec beaucoup de retenue et j'ai écouté avec beaucoup de retenue.

Je ne vais pas tout vous dire, me dit-elle....

Heureusement que non mais ce qu'on s'est dit fut largement suffisant pour que je comprenne enfin que la femme au turban n'est pas rien pour moi.

Je l'ai appréciée avant le turban, je l'apprécie avec le turban et je l'apprécierai sans le turban.

Mon coeur s'est ouvert. Il a de la place pour plusieurs cancers.

Il a surtout de la place pour la Vie.

Mon coeur veut combattre le cancer même s'il est souvent maladroit pour le faire.